Adonis : Chronique des branches / فروع المزمنة أدونيس
Comme souvent, ce recueil je l’ai acheté un peu par hasard, cela fait déjà plusieurs mois, en totale ignorance de la renommée de l’auteur.
Il m’a fallu plusieurs tentatives de lecture avant de parvenir à m’approprier , partiellement, du sens de ces textes difficiles, probablement parce que dérangeants car, en même temps que les mots nous renvoient à notre intériorité, ils nous obligent à la confrontation avec l’autre jusqu’au point où le moi et l’autre se confondent, dans un jeu de miroirs diaboliquement déroutants.
A noter la belle présentation de Jacques Lacarrière et l’excellente postface de la traductrice, Anne Wade Minkowski, qui nous donne quelques clefs historiques et qui ouvre son texte avec cet ancien poème trouvé lors des fouilles à Qassabine en Syrie, non loin du lieu de naissance du poète.
J’ai un message et je te le dirai
J’ai un ordre et je le répéterai
C’est le message de l’arbre
Et le chuchotement de la pierre
Le gémissement des cieux avec la terre
Et de l’océan avec les étoiles
Je créerai l’éclair pour que tu instruises les cieux
Que tu fasses connaitre aux hommes le message
Et que tu le fasses comprendre
Aux foules qui peuplent la terre *
*extrait d’un poème traduit de l’ougaritique par Charles Virolleaud et cité dans Ras-Shamra, ruines d’Ugarit, Beyrouth, 1954
Pour les amis lecteurs de langue arabe j'ai reporté la photo du texte tel que calligraphié par l'auteur
أورفيوس ميرور
MIROIR POUR ORPHÉE
Ta lyre mélancolique, Orphée,
Ne peut changer notre levain.
Elle ne sait façonner pour la bien-aimée captive
Dans la cage des morts
Un lit d'amour alangui,
Ni bras ni tresses.
Orphée, il meurt, celui qui doit mourir,
Le temps qui court dans tes yeux
Trébuche, et entre tes mains
Se brise la lyre.
Je te vois maintenant, tête qui glisse
Entre les rives.
Toute fleur est chant
Et l'eau une voix.
Je t'entends maintenant, je t'aperçois,
Ombre libérée de son orbite
Inaugurant l'errance.
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طريق
La route est une femme
Qui a mis la main du voyageur
Dans celle de l'amant,
A rempli la paume de l'amant
De nostalgie et de coquillages,
Une femme,
Un rêve qu'une femme
a transformé
En barque étroite comme l'aile,
Revêtue de la rose des vents,
Oublieuse de son port.
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الحجارة
Les Pierres
III
Pierre qui protège le sein de la femme enceinte.
Pierre qui s'enivre,
Titube dans les cils du poète
Et devient tourterelle
Couchée dans les cils du poète.
Pierre qui veille et devient
Tenture suspendue autour du front du poète,
Devient nuage ...
IV
Guide-le, ô nuage,
Il ignore comment marcher, ô nuage,
Dans la spirale des ténèbres,
Et quand il s'élancera vers la lumière
Sur le versant secret dans la patrie du verbe,
Plus innocent que l'innocence de l'oiseau,
Un coup de fusil viendra l'abattre.
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مرآة المسار
فروع المزمنة
MIROIR DU CHEMIN,
CHRONIQUE DES BRANCHES
I
Non pas l'estuaire des miroirs,
non pas la rose des vents.
Toute chose est une aile
ascendante dans mon sang,
dans les champs,
nageant dans l'orbite des saisons.
J'ai fait de mon visage le frère de l'herbe
et mes pas se sont livrés à la nostalgie
des miroirs.
J'ai vu les éléments pleurer, ouvrir
entre nous la blessure fraternelle.
J'ai reconnu le signe attestant
que je suis prélude à l'annonciation,
plante de l'Orient au jardin de la prophétie.
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IV
- D'où viens-tu ?
- De la terre des morts, des jarres de larmes,
et jamais je n'ai habité de maison.
Lorsque je suis descendu dans un cimetière
et que le soleil s'est enroulé autour de ma cheville,
telle l'herbe grisante,
j'ai apporté à la faim ses offrandes.
Mon sang était libation en partance
pour un autre lendemain,
ma main était encensoir,
et à l'entrée du cimetière comme à sa sortie
je n'ai trouvé que des enfants.
Ils étaient la promesse d'une terre gravide,
ils étaient la marée, les vagues et les cascades.
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